REVUE DE WEB JANVIER

REVUE DE WEB JANVIER

Les crises médiatiques des entreprises, le fact checking et la communication autour de la conférence de presse du 8 janvier de Carlos Ghosn : voici les thèmes de cette première revue de web de 2020.

La conférence de presse de Carlos Ghosn décryptée

Dans des conditions exceptionnelles, un industriel comme Carlos Ghosn doit gérer son image médiatique en pleine crise. Anne-Claire Ruel, conseillère en stratégie d’opinion et enseignante à l’université Paris 13, a étudié la stratégie de communication de crise de Carlos Ghosn, l’ancien patron de Renault-Nissan lors de la conférence de presse du 8 janvier dernier pour le blog Francetvinfo. Première règle de communication de crise appliquée par le patron déchu : imposer son récit pour ne pas se faire doubler. Autre point : gagner la bataille de l’opinion grâce à un plan de communication séquencé. Si cette intervention a connu un fort traitement médiatique, elle est la clé de voûte d’un plan de communication plus complet constitué de multiples interventions : la veille, la femme de l’industriel, Carole Ghosn, avait déjà été interviewée dans Le Parisien, en amont de cette conférence, afin de préparer l’opinion. Ensuite, l’ex-patron de Renault-Nissan interviendra au journal télévisé de 20h de TF1, la matinale de France Inter, puis C à vous afin d’assurer le suivi de cette prise de parole. De plus, ses avocats interviendront sur les plateaux télévisés.

Autre point important de la stratégie de communication : associer le cœur à la raison pour susciter l’adhésion. Pour Carlos Ghosn, l’objectif de cette intervention est démontrer que son droit à une défense équitable n’était pas respecté et que ses conditions de détention au Japon n’était pas humainement tolérables

Par ailleurs, le slogan « Je n’ai pas échappé à la justice, j’ai fui l’injustice. » a été calibré pour les médias. Répétée en boucle, facile à mémoriser cette punchline, destinée à être reprise par les chaînes d’information permettait de résumer le message développé longuement par Carlos Ghosn lors de sa conférence de presse.

En outre, son attitude et son environnement ont été travaillés : air autoritaire et combatif, en costume-cravate, à force de gestes marqués, Documents (flous) projetés en arrière-plan. Carlos Ghosn souhaite se présenter comme un patron déterminé. Dans sa défense médiatique, il élargit le champ des responsabilités aux dimensions financières, administratives et surtout politiques. En dénonçant le complot industriel et judiciaire, l’homme se présente en victime.

Si les éléments de langage étaient répétés, la mise en scène de cette prise de parole était constituée de documents illisibles en arrière-plan comme des preuves de la « bonne foi » de Carlos Ghosn. L’ombre démesurée de l’industriel, résultant d’un éclairage élaboré, rappelle les photographies d’un prisonnier cadrant le visage et les épaules, généralement prise de face et de profil, lors de l’arrestation d’un individu.

Olivier Cimelière, le journaliste communicant, partage aussi cette analyse de la conférence de presse. Dans le Blog du Communicant 2.0, il a jugé la communication de Carlos Ghosn offensive. Le patron déchu  s’est, en effet, présenté combatif devant près de 150 journalistes de toute la planète afin de plaider sa défense, dénoncer une justice nippone totalitaire et suggérer la théorie du complot au plus niveau. Pour cela, il a fait appel à l’agence de communication, Image 7 et à sa fondatrice Anne Méaux.

La réputation de ce PDG multilingue issu d’un métissage culturel (libanais, brésiliens et français) s’est dégradée progressivement au fil des années avec des histoires d’audits internes truqués, de licenciements express de haut-cadres soupçonnés d’espionnage industriel, de filiales dans des pays au régime fiscal conciliant et de fêtes somptueuses et dépensières.

Autre axe de communication de Carlos Ghosn : restaurer son image flétrie par son incarcération au Japon puis son assignation dans une résidence surveillée. Auparavant, il avait une image ambivalente d’un patron longtemps tout-puissant et apprécié par les politiques et les banquiers mais beaucoup le craignaient dans le groupe. De plus, il connait une enquête préliminaire et une information judiciaire pour deux affaires de corruption présumée.

En outre, sa communication fait appel à des punchlines cash (comme des références sur Pearl Harbour avec un journaliste américain), de la théorie du complot (fomenté par Nissan et la justice japonaise), de la victimisation (maltraitance judiciaire au Japon) et de la presse contrôlée (aucune accréditation pour les journalistes japonais).

Enfin, la conférence de presse se déroule dans une salle plutôt blafarde et avec une présentation Powerpoint à peine lisible. De plus, cet environnement donne une impression modeste à l’évènement. Par ailleurs, l’horaire a été choisi pour que la conférence puisse avoir des impacts en direct autant au Japon que sur la côte Est des Etats-Unis et sur l’Europe. Mais la guerre de communication n’est pas encore finie entre les différentes parties prenantes.

Gestion de crise au fact-checking

Trop souvent sous-estimé dans la gestion de crise, le caractère individuel ou collectif de la crise est pourtant essentiel. En effet, l’attention médiatique diffère si l’entreprise est seule impliquée par un scandale ou si plusieurs entreprises sont touchées. Seule, l’entreprise sera beaucoup plus exposée.

Dans un article pour le site Internet de Harvard Review Business France, Breeda Comyns, professeure associée au département Stratégie, Développement Durable et Entrepreneuriat à Kedge Business School et Ralf Barkemeyer, professeur en responsabilité sociétale d’entreprise et chef du centre d’excellence RSE étudient la gestion d’une crise médiatique d’entreprises prises dans la tourmente.

Ils citent une récente étude (notamment réalisée par Ralf Barkemeyer) qui a analysé la couverture médiatique d’un échantillon de 123 scandales d’entreprises d’envergure entre 1990 et 2016. Pour environ 90% d’entre eux, un pic de médiatisation a été noté lors des deux premières semaines après le déclenchement de la crise, suivi par une diminution relativement progressive de la couverture. De plus, l’accumulation de scandales de natures différentes (accidents industriels, fraudes, tromperie des consommateurs, etc.) mènent à une forte couverture médiatique. En revanche, les couvertures de scandales consécutifs de même nature décroissent plus rapidement.

Avec le développement des réseaux sociaux, une couverture de plus en plus « sensationnaliste » est notée dans les médias plus traditionnels. Ainsi, un petit nombre de scandales d’envergure dominent l’agenda médiatique et entrainent des pics de médiatisation plus importants. Mais la couverture médiatique des scandales d’entreprises tend à disparaitre plus rapidement.

Par ailleurs, le caractère nouveau de la crise conditionne sa « valeur médiatique ». Le scandale de la viande de cheval en 2013 est un autre exemple de crise collective. Des produits contenant du bœuf contaminé ayant été découverts, de nombreux acteurs de la chaîne de production du commerce alimentaire européen se sont retrouvés impliqués (abattoirs, négociants, transformateurs, restaurants…).

Une étude de 2018 (notamment menée par Breeda Comyns) a démontré que, lors d’une crise collective, le degré de médiatisation des entreprises concernées dépend de leurs réactions. Celles qui choisissent de répondre vite aux allégations et d’en accepter la responsabilité attirent le plus de couverture médiatique, contrairement aux entreprises qui optent pour une réaction plus tardive et de leurs prises de distance vis-à-vis du scandale.

Enfin, assumer sa responsabilité et réparer les dégâts causés génère de la confiance et de la bienveillance de la part des actionnaires, et améliore la réputation de l’entreprise en tant qu’organisation socialement responsable.

La vérification de l’information est aussi complexe que la communication de crise. Pour le site The Conversation, Manon Berriche, doctorante à Sciences Po et à l’Université Sorbonne Paris Cité, retrace l’histoire du fact-checking. Dès son lancement, en 1923, le magazine Time avait déjà recruté une équipe de fact-checkers. Son objectif : vérifier toutes les informations avant leur publication.

Dominique Cardon note dans son livre « La Démocratie Internet » que la pertinence attribuée à une information ne résulte plus d’une évaluation normative de son contenu par des experts mais émane plutôt d’une « agrégation numérique ». Les informations diffusées sur la toile sont hiérarchisées a posteriori par des algorithmes de classement et de référencement qui dépendent partiellement des clics et « likes » des internautes.

Cette reconfiguration de l’espace public permet l’essor de nouveaux contenus, pas toujours vérifiés, pour le débat public, parmi lesquels figurent certains fakes news.

Ainsi, des rubriques de fact-checking se sont largement développées depuis une dizaine d’années pour valider a posteriori l’exactitude des chiffres et des informations diffusées publiquement.

Par ailleurs, plusieurs études scientifiques révèlent un effet général significatif du fact-checking sur les opinions individuelles afin de contrer certaines fausses informations.

De plus, l’enjeu actuel est surtout d’identifier les formats et méthodes les plus ajustés afin de convaincre le grand public. Sur ce point, une expérience a par exemple montré que proposer des visualisations de données synthétisant le nombre de propos trompeurs tenus par des hommes ou femmes politiques, permet de fournir aux gens des indicateurs sur la fiabilité de certains émetteurs d’information et cela se révèle plus efficace que de procéder à des rectifications énoncé par énoncé. Selon une autre recherche, des formats vidéo peuvent être particulièrement persuasif. Si les études scientifiques montrent que le fact-checking peut être efficace pour lutter contre la diffusion d’informations fallacieuses mais certains thèmes comme les sciences dures sont parfois moins traités par les rubriques de fact-checking. Au-delà de son seul contenu, l’appréciation d’une vidéo dépend donc aussi du degré de considération et de légitimité accordé à son émetteur

Au-delà des méthodes de fact-checking des médias traditionnels ou des chaînes de vulgarisation scientifique, il existe des processus d’autorégulation entre les internautes sur les réseaux sociaux. Ainsi, les commentaires qui accompagnent certains fakes news, peuvent mettre en doute sa véracité par un commentaire du type « attention, vérifiez la source » ou encore en renvoyant vers un article.

En outre, l’AFP Factuel conseille aux gens de regarder les commentaires des autres afin d’évaluer plus facilement la fiabilité des informations. Des études ont d’ailleurs révélé que les commentaires accolés aux contenus médiatiques pouvaient être des sources de corrections effectives face à certaines fausses informations ou encore que la perception d’un consensus au sein des commentaires d’autres internautes pouvait modifier l’attitude des individus sur les questions liées au réchauffement climatique par exemple.

Enfin, en France, un fact-checking collaboratif est en train de se développer, avec par exemple l’intermédiaire de la plate-forme indépendante comme CaptainFact. Ainsi, les internautes s’unissent pour vérifier eux-mêmes des informations présentes sur le web.