L’IA, L’IMAGE ET LA CULTURE

L’IA, L’IMAGE ET LA CULTURE

L’IA et les médias, la communication de la Nasa et la culture scientifique : voici cette revue de web automnale.

De l’IA à la Nasa

L’intelligence artificielle devrait révolutionner l’organisation du travail dans les médias. Xavier Eutrope, journaliste de La Revue des médias donne des exemples d’application. Si le 30 novembre 2022, l’arrivée de Chat GPT a déchainé des débats médiatiques, l’IA était déjà utilisée auparavant par la presse. L’illustration des articles en est un exemple.

Un bon article nécessite une image efficace qui donne envie de lire son contenu. Jusqu’ici, illustrateurs et illustratrices, agences de presse, banques d’images et photographes pouvaient être mobilisés. Les intelligences artificielles le sont aussi, désormais. En mai 2023, le JDD Magazine a fait appel à l’outil Midjourney afin d’illustrer sa couverture et deux articles sur l’auteur Michel Houellebecq. Leur sujet : la création et la gestion par l’écrivain de sa propre image. Cependant, le magazine ne renouvellera pas, a priori, l’expérience.

Si Le Figaro a tenté d’illustrer par l’IA, sa position est similaire de celle du groupe Les Échos – Le Parisien, précurseur à propos des réflexions autour de l’utilisation de l’intelligence artificielle par des médias : transparence autour de la source de l’image, pas d’illustration générée automatiquement par des intelligences artificielles. Mais cela ne concerne pas les articles sur l’intelligence artificielle.

En outre, l’écriture des articles peut être confiée à l’IA. En 2015, Le Monde a fait appel à un robot pour traiter les résultats des élections départementales et rédiger ainsi 36 000 articles.

De plus, le journal s’appuie également sur l’IA afin d‘éditer la page d’accueil du site. En se basant sur des critères tels que la position initiale, le nombre de vues par minute, le nombre d’abonnements souscrits dans les dernières heures, l’outil de publication indique quels articles seraient à mettre en avant pour augmenter le nombre de vues, ou au contraire lesquels il faut enlever. En 2023, il a également commencé à expérimenter la production automatisée de résumés de matchs de faible importance, auxquels les journalistes ne peuvent pas assister.

Depuis 2021, le quotidien sportif L’Équipe recourt aussi à l’intelligence artificielle pour produire automatiquement certains contenus, comme des papiers listant les matchs à venir, avec horaires et chaînes où les regarder. Des articles sont conçus pour le référencement des moteurs de recherche.

La présentation de l’information en vidéo est une autre utilisation de l’IA. Depuis janvier 2023, le média Brut produit des vidéos grâce à l’IA. Des contenus de quelques minutes avec un avatar numérique ont été expérimenté.

Par ailleurs, la vérification des chiffres avancés par les responsables politiques est un champ d’application de l’IA. Sur les réseaux sociaux, Statcheck peut, en effet, détecter une statistique évoquée dans un tweet par exemple puis les comparer avec des bases de données comme celles d’Eurostat et de l’Insee. Résultant d’une collaboration débutée en 2022 entre la radio France Info et l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), l’outil est employé par le service de fact-checking de la radio.

Enfin, l’analyse et la comparaison de documents sont un autre axe d’application de l’IA. Ces dernières années, l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ, Consortium international des journalistes d’investigation, en français), fondé en 1997, s’est fait un nom grâce à ses enquêtes axées sur les fuites de données parfois importantes comme les Panama Papers…. « Nous utilisons du machine learning et des réseaux de neurones », indique Pierre Romera Zhang, responsable de l’équipe technique du consortium. Les journalistes enseignent à leurs machines quels genres de documents il faut chercher : les types d’informations qu’ils doivent contenir (noms, numéros de téléphone et de société, adresse), … Sur la base de ces leçons et des retours faits par les journalistes eux-mêmes sur les premiers résultats proposés, le travail des robots permet de trouver facilement les informations recherchées.

Le cinéma et le secteur spatial s’inspirent mutuellement. Le magazine d’Arte , « Les dessous de l’image », a analysé la fabrique des héros à la Nasa. L’agence spatiale américaine a créé une bande annonce digne d’une superproduction. Le 3 avril dernier, la composition de l’équipage est présentée avec faste à Houston. Le lendemain, la vidéo annonçant les quatre astronautes sélectionnés est diffusée sur les réseaux sociaux de la Nasa. Producteur des contenus vidéos de la Nasa, Sami Aziz explique comment il a imaginé cette vidéo qui annonce le grand retour des Américains vers la Lune. Selon l’historienne de l’art Elsa De Smet, les agences spatiales ont nourri un imaginaire qui montre leurs astronautes en héros.

De la désinformation à la culture

Si la Nasa façonne l’image des astronautes, YouTube accélère, quant à lui, la lutte contre la désinformation médicale. A partir d’un communiqué de l’AFP, un journaliste du site Internet Stratégies informe que devant l’explosion de la désinformation médicale depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, YouTube (propriété de Google) a débuté en 2022 une chasse aux contenus anti-vaccins, puis aux contenus favorisant les troubles alimentaires. Un an plus tard, la plateforme s’attaque aux fausses informations sur le cancer car il a constaté que les personnes diagnostiquées « se rendent souvent sur Internet pour se renseigner sur les symptômes ainsi que les parcours de soin, et trouver un sentiment [d’appartenir à une] communauté ».

L’internaute qui publiera des fake news sur la santé aura sa vidéo enlevée. Si après trois récidives, sa chaîne, voire son compte seront bloqués mais il pourra faire appel. Si YouTube défend une démarche de long terme, l’entreprise suit le règlement européen récent, le Digital Services Act, qui exige des grandes plateformes numériques de prendre des mesures contre la désinformation et autres contenus illicites. Par ailleurs, le sociologue Laurent Cordonier, de la Fondation Descartes doute de l’efficacité des mesures annoncées, et note que les publicités sont aussi des vecteurs de désinformation.

Chaque minute, la plateforme reçoit plus de 500 heures de nouveaux contenus et la détection des fausses informations constitue un « défi technologique énorme » selon Youtube. Entre janvier et avril 2023, le réseau social assure avoir supprimé plus de 8,7 millions de vidéos, dont plus de 90% identifiées par l’intelligence artificielle.

Par ailleurs, le réseau social a créé de nouveaux outils afin de mettre en avant les contenus issus des autorités sanitaires et d’hôpitaux par exemple et, en France, des messages d’information sous les vidéos pour aider l’utilisateur à identifier sa source.

La culture scientifique nécessite une culture linguistique. Dans un article pour le site Internet de The Conversation, Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien, épistémologue, essayiste et professeur de l’université de Nice à l’Université Côte d’Azur juge qu’une bonne vulgarisation ne peut négliger la difficulté et la spécificité des concepts scientifiques. Il note aussi que les facilités de langage peuvent avoir des effets régressifs sur les chercheurs eux-mêmes.

Plusieurs problèmes conceptuels de la physique contemporaine (la question du déterminisme ou de l’origine de l’univers) trouvent leur origine dans la négligence des puissances de la langue et la désinvolture de son usage. La formalisation ne suffit pas à énoncer et à maîtriser le savoir. Les équations ne disent rien si elles ne sont pas intégrées dans un échange communicationnel langagier leur donnant du sens.

Une attitude à la fois plus respectueuse et plus critique vis à vis des mots utilisés pour rendre compte des signes et des formules permettent de régler, ces problèmes épistémologiques. Mais cela concerne également d’autres domaines de la science actuelle comme la biologie et la génétique.

De plus, les problèmes traités précédemment sont très aggravés par la domination, en tout cas dans les sciences de la nature, d’un anglais abâtardi (globish) tel que lingua franca. Ce langage dépourvu de son arrière-plan culturel et de ses connotations implicites, ne favorise pas une expression maîtrisée et une évaluation critique des néologismes qu’exige le développement scientifique.

Selon l’expert, il est donc nécessaire de demander aux chercheurs scientifiques, aux journalistes et médiateurs, une conscience plus aiguë de leur responsabilité linguistique et d’insérer cette thématique dans leur formation professionnelle.