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REVUE DE WEB AVRIL

La communication de crise, les fakes news et la lutte contre la désinformation sont les thèmes de cette revue de web printanière autour du Covid-19.

De la crise à la communication

Lors des crises, la communication est un art délicat. Spécialiste de la communication de crise, Paul A. Argenti, professeur de communication d’entreprise à la Tuck School of Business du Dartmouth College, recommande de communiquer tôt et souvent avec les parties prenantes clés tout au long d’une crise dans un article du site Internet de HBR France. Même si on n’a pas encore saisi toute l’ampleur du problème, il est conseillé d’être honnête et ouvert afin de conserver sa crédibilité, interpréter la situation avec empathie pour comprendre leurs craintes.

Une équipe de communication centralisée doit être créée dans des organisations larges et complexes. Mais en cas d’urgence ou dans une situation évoluant rapidement, il est indispensable de disposer d’une équipe d’intervention. Avec le coronavirus, Intel a ainsi monté une direction permanente consacrée à la lutte contre la pandémie dans le cadre de son plan de continuité d’activité. Cette équipe (5 à 7 personnes au maximum) doivent être réduites, par exemple, à un membre de l’équipe de direction, un responsable de la communication interne, un cadre des ressources humaines et un expert du domaine concerné. Cette équipe doit se réunir régulièrement pour suivre la situation, être la principale source d’information au sujet de la crise, transmettre des mises à jour régulières aux parties prenantes clés, être aussi transparente que possible en expliquant ce qu’elle sait, ce qu’elle ignore et donner ses sources. Enfin, elle doit s’exprimer brièvement.

Par ailleurs, il faut communiquer avec les collaborateurs car ils sont les parties prenantes les plus importantes et sont les ambassadeurs de la communauté. L’entreprise doit donc clarifier la situation auprès des collaborateurs, rassurer et donner de l’espoir pour l’avenir. Selon certaines recherches, les dirigeants jouaient un rôle particulièrement important dans la réduction des craintes des collaborateurs.

Afin de communiquer avec leurs collaborateurs, les organisations doivent publier régulièrement des informations sur un support physique ou virtuel : e-mail, intranet de l’entreprise, chaîne Slack ou page Facebook. Elles doivent expliquer comment ont été prises les décisions concernant les déplacements, le télétravail, etc. Enfin, elles doivent communiquer autant que d’habitude et fournir des informations au moment opportun.

En outre, il faut communiquer régulièrement avec les clients. Les entreprises doivent se concentrer sur les attentes les plus importantes des clients, aider dans la mesure du possible et faire preuve d’empathie au lieu de créer des opportunités commerciales.

De plus, il est important de rassurer les actionnaires en étant transparent en s’exprimant sur les défis à court terme, de renforcer les fondamentaux de l’organisation à long terme et communiquer sur les mesures prises afin de résoudre le problème. Il faut être très attentif aux recommandations en matière de déplacement et développer des plans de communication pour la conférence annuelle avec une solution pour la diffuser en ligne auprès des actionnaires.

Enfin, il est recommandé d’être proactif auprès des communautés. Au minimum, les entreprises doivent s’assurer que leurs actions n’ont pas de conséquences négatives pour les membres de la communauté. En revanche, la crise peut être l’occasion de renforcer les relations avec les communautés locales. L’organisation peut délivrer des ressources telles que des produits nettoyants ou des vivres pour les personnes en quarantaine, informer les médias locaux et de faire preuve de transparence sur l’entreprise.

L’entreprise peut aussi communiquer sur ses différentes aides auprès de communauté locale, nationale ou mondiale en période de crise. Par exemple, Cargill a annoncé faire un don de 2 millions de yuan à la Croix-Rouge chinoise.

Cette communication de crise a aussi inspiré Olivier Cimelière, directeur adjoint d’ESJ Pro Entreprise. Il insiste sur la communication entre les managers en télétravail et sur le terrain lors de la période de confinement dans un article sur le site Internet des Echos. Les managers d’équipes doivent accroitre leur communication de proximité sur la pandémie du coronavirus et de ses répercussions sur l’entreprise. L’expert note trois directions à suivre : réassurance et pédagogie, expliquer et écouter, donner de l’action et de la perspective. Selon le rapport « Trust and the coronavirus » publié par l’agence Edelman du 23 mars dernier, 73 % des personnes interrogées estiment que les entreprises ont la responsabilité́ de protéger leurs employés. 56 % veulent savoir comment éviter le virus, 51 % souhaitent connaître les actions concrètes menées par l’entreprise pour les protéger et 49 % veulent être informés sur la propagation du virus au sein des équipes. Il faut donc s’appuyer sur les managers, DRH et communication interne afin de faire de la réassurance et de la pédagogie. De plus, il est recommandé de privilégier une communication interne proactive, en reprenant les lignes managériales afin d’accélérer le partage des décisions prises.

En outre, la mise en place de dispositifs d’écoute permet aux collaborateurs de s’exprimer en toute bienveillance avec une structure dédiée ou une personne « référente » sur le sujet du coronavirus.

Par ailleurs, l’encadrement doit maintenir une dynamique collective au sein des équipes par différentes actions. Il est important de valoriser les salariés au contact direct des clients ou qui ne peuvent pas télétravailler.

Enfin, il est utile de communiquer sur la vie de l’entreprise avec transparence avec des vidéos interactives : les pertes de clients, les annulations de commandes ou d’opérations, la mise à l’arrêt ou en veilleuse de projets. Il est également possible de ritualiser certains rendez-vous en ligne avec les plus isolés (apéros virtuels, etc.) ou d’offrir des services.

Le management peut jouer un rôle de catalyseur pour gérer la période d’« après crise » et initier de nouvelles réflexions sur les processus.

La protection contre les fausses informations

Lors des crises, prolifèrent des fakes news et il faut savoir les repérer. Divina Frau-Meigs, professeur des sciences de l’information et de la communication, met en garde contre la profusion des infox concernant le coronavirus sur le site Internet The Conversation. Or la désinformation sur le coronavirus peut faciliter le développement de la pandémie. Selon elle, l’éducation aux médias et à l’information contribue à une meilleure compréhension des mécanismes, d’adopter des « gestes barrières », et de prévoir l’après-coronavirus.

Dans la liste des rumeurs, légendes urbaines et autres nouvelles à sensation, les recettes de grand-mère sont très présentes : les remèdes douteux comme la cure d’ail, comme prendre un bain chaud ou faire des pulvérisations sur le corps, d’utiliser le sèche-main au lieu d’eau et de savon. La raison des auteurs des infox : se faire une réputation, avoir de l’influence et du crédit social. Les solutions pour éviter la propagation de ces fausses informations : ne pas amplifier ces messages, ne pas les rediffuser, les signaler aux proches, les contester.

Dans les pièges à clic, prolifèrent les faux appels aux dons et les faux conseils de médecins : boissons chaudes ou alcool protégeraient du coronavirus, les vaccins contre la pneumonie. Ils font références à des habitudes d’automédication développées en ligne. L’intérêt de ces démarches : la recherche d’audience et de profit. Les solutions pour les contrer : les signaler aux plates-formes de médias sociaux, démonétiser les vidéos et les sites, consulter des sites de confiance comme celui de l’OMS.

Dans les théories du complot, figurent les peurs de la mondialisation et du déclinisme ou du déplacement pour perturber les équilibres géopolitiques. Réguler, surveiller la toile… peuvent limiter leurs effets.

Par ailleurs, l’éducation aux médias et à l’information doit se baser sur les procédés techno-cognitifs du numérique. La techno-cognition est un champ interdisciplinaire qui réunit le design des architectures de l’information (les moteurs de recherche, les hyperliens…), les principes de base de construction de l’information et les formes de raisonnement en ligne (dont la latéralisation et les biais cognitifs). La techno-cognition s’appuie sur des outils qui sont en phase avec les modes de fonctionnement du cerveau et les logiques numériques afin d’améliorer le processus de vérification. Ainsi, un outil téléchargeable sur son navigateur comme InVID, s’axe sur la vérification d’images et de vidéos, et permet de retrouver des métadonnées, de fragmenter des séquences en images clés, de rechercher des similarités (sur Twitter, Facebook, YouTube…), de comparer l’efficacité des moteurs de recherches (Google, Baidu, Yandex…), ou de détecter les trucages d’images (altérations de structures, fréquences, cohérence des pixels…).

Il faut donc se forger une petite boite à outils comme les sites de fact-checking comme ceux du Monde et de l’Agence France-Presse qui recensent des fakes news. Des sites de ressources pédagogiques, tels que celui du Clemi, de Savoir*Devenir, des Céméa peuvent en faire partie. Il est conseillé d’utiliser plusieurs moteurs de recherche, comme Qwant ou Yandex. Enfin, les plates-formes de médias sociaux, Facebook, Instagram et Twitter, ont désormais des onglets de signalement.

Pour le site Internet de HBR France, Peter Saba, professeur associé et responsable du master management des systèmes d’information et des data (MSID) à l’Ecole de Management Léonard de Vinci (EMLV) Paris-La Défense, s’intéresse aussi aux moyens de lutter contre la propagation des fausses informations dans le cadre du coronavirus. Ses recherches concernent la contagion des conflits, l’inoculation attitudinale et la persuasion lors du déploiement des technologies d’information. Selon cet expert, pour lutter contre les fausses informations, gouvernements, experts et associations peuvent pratiquer « l’inoculation digitale » sur les réseaux sociaux, afin de sensibiliser la population à ce problème.

Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, les rumeurs circulent sur les réseaux sociaux : les lampes à UV protègeraient du virus, de même que l’urine d’enfant ou la consommation de cannabis. D’autres déclarent que l’épidémie est le fruit d’une conspiration internationale des géants de l’industrie pharmaceutique, dont le seul objectif serait de vendre, à terme, leurs vaccins et leurs médicaments. Certains affirment enfin que la contamination résulte du déploiement de la 5G à Wuhan.

L’enjeu principal pour les gouvernements, les institutions et les associations et les organes de presse est de lutter efficacement contre les fake news, en intervenant directement sur les plateformes où circulent les rumeurs car la désinformation autour du Covid-19 pourrait mettre la vie des individus en danger. Ainsi, le gouvernement français a décidé, fin février, alors que la crise commençait à prendre de l’ampleur, de réunir les succursales parisiennes des géants du web (Google, Facebook ou TikTok), afin de mettre en place un plan pour lutter contre la propagation des fake news. Moteurs de recherche et plateformes ont ainsi prévu des pages, des encarts ou des notifications dans le « feed » de leurs inscrits afin de transmettre les informations issues des autorités officielles, tout en faisant une veille pour détecter et signaler toute tentative de désinformation.

Pour désamorcer les rumeurs et démentir les fake news, il faut fournir une argumentation simple et directe, et même reprendre des éléments de la fausse information en produisant une « contre-rumeur ». L’exposition à ces « contre-rumeurs » rendent les utilisateurs du Web plus méfiants par rapport à ces fausses informations selon une étude publiée par des chercheurs en systèmes d’information à Singapour. Ainsi, ils les repartagent moins. A l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les équipes ont créé une chaîne YouTube intitulée « Canal Détox » et, à l’AP-HP, un collège de médecins la chaîne « PuMS » afin de transmettre une information fiable et anti-fake news.

Selon l’auteur, une communication digitale destinée à mettre en garde la population contre les fausses informations circulant au sujet du Covid-19 pourrait débuter en reprenant des éléments que les Français ont entendu au sujet de ce virus (par exemple, « c’est seulement une grosse grippe », « il touche surtout les personnes âgées » …). Dans un deuxième temps, d’autres fausses informations (ou « contre-arguments ») circulant sur les réseaux, concernant les modes de guérison ou les origines de l’épidémie, par exemple, pourraient être citées. Enfin, la réfutation de ces affirmations conclurait le message, avec un rappel des informations les plus importantes (gestes barrière, règles de confinement…).

En appliquant cette inoculation digitale, l’individu doit d’abord être exposé à une menace pour développer ses capacités d’immunisation contre les menaces ultérieures. La réfutation, à cet effet, passe par la fourniture des arguments à l’individu afin de l’aider à soutenir son attitude et à être capable de rejeter des futurs contre-arguments. La technique de l’inoculation, comprend donc trois phases. La phase Alerte : les individus reçoivent un message numérique à travers le même réseau social leur présentant une menace possible afin qu’ils soient sur leurs gardes. Deuxième phase qui est la Contre-argumentation : les individus sont exposés à une menace (affaiblie) sous forme de contre-argument à leurs croyances afin qu’ils activent leurs systèmes immunitaires psychologiques. Enfin, la troisième phase de Réfutation : les individus reçoivent des éléments de réfutation pour défendre leur position.

Mais l’individu a besoin d’un certain temps après la première réfutation pour réaliser une « réorganisation cognitive », repenser sa posture vis-à-vis de l’attaque reçue et développer ses propres argumentations pour réfuter des menaces ultérieures. L’effet n’est donc pas instantané.

Enfin, les fake news peuvent être des signaux faibles qui révèlent des dysfonctionnements, nécessitant une intervention. Les rumeurs peuvent donc servir à la conception des messages de sensibilisation.