REVUE DE WEB MARS

REVUE DE WEB MARS

Des images spectaculaires, le traitement médiatique du Covid-19, le télétravail des journalistes et les attentes de la population vis-à-vis de l’information : voici les mots clés de cette revue de web Spécial Coronavirus.

Des images chocs et les médias

Des images spectaculaires de patients malades du Coronavirus peuvent permettre de sensibiliser la population devant la dangerosité du virus. Angela Sutan, professeur en économie comportementale au Burgundy School of Business et Romain Espinosa, chargé de recherche en économie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) posent la question de la communication sur le site Internet de The Conversation.

Pour rendre le problème sanitaire plus concret, une des solutions préconisées par les auteurs serait de montrer aux citoyens des images, afin qu’ils visualisent davantage les risques. Les images médicales pourraient les sensibiliser et les mobiliser davantage.

Ce recours aux images est défendu par plusieurs travaux d’économie comportementale. Certains travaux ont ainsi révélé l’efficacité de l’exposition aux images pour les fumeurs de cigarettes. Ainsi, afin de répondre à cette question de l’efficacité des images chocs dans le cas du coronavirus, les auteurs ont réalisé une expérimentation en ligne le mardi 17 mars 2020 et révèlent les résultats. Le but de cette expérience est de mesurer l’impact des images de patients en réanimation à la suite d’une infection au coronavirus ou de services d’urgence lors d’appels au confinement sur la volonté déclarée de respecter le confinement. Il semblerait que les images augmentent les chances que les participants jugent la crise comme une des plus graves crises sanitaires auxquels notre pays a fait face ce dernier siècle et diminuent la tendance à considérer que les médias et responsables politiques exagèrent la crise.

Les victimes identifiées semblent entraîner des réactions émotionnelles plus importantes que les victimes statistiques, ce qui accroît la probabilité de fournir de l’aide. Si l’on voit une personne en réanimation, sachant qu’elle a été saine, la sympathie est plus grande si l’on considère l’état actuel d’une victime comme un déclin par rapport à un état de référence (par exemple, l’état avant le virus).

Les auteurs conseillent donc de faire appel largement à ces images d’hôpitaux ou des personnes en réanimation dans les communications des médias et du gouvernement.

Le traitement médiatique du coronavirus évolue avec la progression de l’épidémie. Pour le site Internet de la Revue des Medias, François Quinton, rédacteur en chef, a interviewé Hélène Romeyer, professeure en science de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne-Franche Comté et membre du laboratoire Cimeos (EA 4177) et spécialiste de la médiatisation des questions de santé. Hélène Romeyer a noté plusieurs phases du traitement de l’information concernant le Covid 19. Au début, le virus a été abordé en Chine. Puis, les médias se sont plutôt attachés à comprendre ce qu’était ce nouveau coronavirus. Ensuite, l’angle policier et très autoritaire du confinement chinois, a été le plus traité.

Mais la médiatisation a évolué en même temps que le virus a franchi les frontières : d’un problème militaro-politique en Chine à un vrai problème sanitaire dès que l’Italie a été contaminée. De plus, la progression très rapide des contagions, a recadré le sujet comme problème sanitaire, en faisant appel à un discours classique sur la santé avec la notion de « risques ».

Le cap des « 100 cas » en France, le 29 février, a marqué un pas : celui du passage progressif du terme « coronavirus » vers Covid-19. Selon la professeure, en disant « Covid-19 », on ne prononce plus le mot virus. Cette stratégie de communication permet d’empêcher les emballements et donne aussi une touche scientifique.

Si, jusqu’au week-end du 7-8 mars, la médiatisation était assez contrôlée, elle tend aujourd’hui un peu plus à la panique. Plusieurs causes : la progression des cas de Covid-19, les mesures très fortes de confinement effectuées en Italie, et le discours volontairement alarmiste de certains partis politiques appelant à la fermeture des frontières et à des mesures de confinement. Avec ces mesures et ces prises de parole, le discours médiatique glisse à nouveau vers la suspicion et le risque. Les autorités essaient d’y répondre en rappelant qu’il y a moins de cas de Covid-19 que de cas de grippe hivernale. Mais ce discours ne semble plus être accepté depuis les mesures italiennes de confinement.

En France, la santé fait penser immédiatement à la politique de santé publique. Ainsi, le premier type de communication à être adopté est une communication publique. Les autorités jouent alors leur rôle. La conférence de presse du ministre de la Santé, tous les jours à 19 heures révèle donc un effort de transparence de la politique publique de santé et de points réguliers d’information.

Quant au deuxième volet de la communication publique en matière de santé, il porte sur la prévention. Maintenant que ce coronavirus est là et va se propager, que faut-il faire ? Il faut donc rappeler un certain nombre de gestes simples.

Un troisième volet propre aux nouveaux médias, concerne la réfutation d’un certain nombre de « fake news ». Des fausses informations, fréquentes sur les problèmes et risques de santé, se propagent à une grande vitesse sur les réseaux sociaux

Enfin, dernier volet : la politisation du discours. Depuis le début du mois, sont abordées les conséquences économiques du Covid-19 comme l’évènementiel. Le problème sanitaire (les symptômes, la prévention, la recherche de traitement) est moins traité que l’aspect prévention politique publique et économique. D’autres thématiques sont apparus comme les conséquences écologiques avec l’amélioration de la pollution en Chine, par exemple. Ici, le discours sur le Covid-19 sert à démontrer qu’une action sur l’activité humaine et notamment industrielle a une incidence directe sur la pollution. Cette médiatisation a été illustrée par des images spectaculaires prises par satellite. Néanmoins, ce discours et ces images ont été rapidement remplacés par un discours à présent de crainte et de risque.

Par ailleurs, les médias ont parlé du racisme anti-asiatique suscité ou réactivé par le Covid-19, en fonction du climat politique. L’angle de la dénonciation semble être une nouveauté. Une autre particularité de la couverture médiatique du nouveau coronavirus, par rapport aux précédentes épidémies, est la déconstruction de plusieurs « fake news » comme dans le journal télévisé de France 2, sur France Info ou dans la presse telle que Le Parisien par exemple. Cela résulte d’une conséquence du travail réalisé par l’OMS et le ministère de la Santé pour lister les « fake news » et les réponses à y apporter.

La professionnalisation de la communication intéresse également les organismes de santé. Ainsi, le ministère de la Santé a créé un Comité stratégique du service public de l’information de santé, en 2017. Les travaux de ce comité se sont notamment penchés sur les sites Internet de santé, les forums de discussion avec des objectifs marketing. Il y a également un comité stratégique d’information de santé numérique, au ministère de la Santé.

L’OMS a adopté une démarche similaire. Elle a demandé à Google de faire remonter ses informations diffusées sur le sujet en haut des résultats de recherche — y compris sur YouTube. Elle a également sollicité Facebook pour cibler les populations à risques et leur envoyer des publicités ciblées. Elle envoie aussi des communications assez structurées, mises à jour, aux différents médias.

Du télétravail aux experts

La Revue des Médias s’est également penchée sur le télétravail des journalistes. Xavier Eutrope, journaliste, a noté que durant la semaine du 9 mars 2019, la France s’est progressivement mise à l’heure du Covid-19 en imposant, de façon successive, différentes mesures censées ralentir l’expansion de cette épidémie due au coronavirus SARS-CoV-2.

Depuis plusieurs jours voire semaines, certains médias ont diffusé des informations sur l’épidémie, y compris durant la soirée électorale du premier tour des élections municipales comme France 2 s’est peu à peu transformée en soirée d’information, avec une infectiologue de la Pitié Salpêtrière.

Chez France Télévisions, un test grandeur nature généralisé à tous les services a été réalisé jeudi 12 mars pour évaluer la « capacité [du groupe] à assurer [ses] missions en mode télétravail, afin [de se] préparer à une éventuelle contrainte organisationnelle liée au développement de l’épidémie de coronavirus ». Quant à Radio France, il a lancé un plan de continuité d’activité le dimanche 15 mars.

Au Figaro, le mercredi 10 mars, un e-mail concernant le télétravail cosigné par Alexis Brézet, directeur des rédactions et Annie Pican, éditrice du pôle web du quotidien, a été envoyé aux différents services avec « des règles de présence dans la rédaction » allégées. Par ailleurs, Anne Pican déclare : « Mais on a tout de suite mis en place les règles sanitaires strictes en demandant aux gens de se laver les mains, minimiser les réunions, ne pas se réunir en nombre dans une petite salle ».

En outre, Guillaume Goubert, directeur de La Croix, a expliqué le 17 mars que le travail sur un plan de continuité de l’activité (PCA), concernant le fonctionnement de la rédaction ainsi que les autres maillons de la chaîne en aval, avait commencé il y a une quinzaine de jours.

Interrogé mercredi 11 mars, le directeur des rédactions de France Info, Jean-Philippe Baille, rappelle que la station France Info doit proposer des rendez-vous d’information de manière continue pour garantir un accès à l’information au plus grand nombre. « Il faut assurer un maximum l’antenne et mettre le plus grand nombre de personnes, identifiées par nos soins, pour la tenir. Si on ne peut pas bouger, si on est confinés, on ouvrira une ligne quelque part pour être en capacité de téléphoner et appeler à la fois les journalistes, les témoins et les compétents pour pouvoir nous répondre. Tout cela est mis en place, c’est déjà réfléchi. Nous sommes en train d’affecter des moyens techniques permettant à certains de nos journalistes de travailler depuis leur domicile. » Le groupe Radio France est aussi en relation régulière avec le ministère de la Santé « Il y a des points réguliers entre le ministère et le comité de pilotage du groupe, et nous faisons régulièrement des réunions pour dire où nous en sommes, explique Jean-Philippe Baille. Nous avons même ouvert un groupe Whatsapp où l’on échange et pose nos questions ».

A France Télévisions, une cellule de veille a été montée avec les directions du groupe. Interrogé le 12 mars, Christophe Tortora, directeur de la rédaction nationale de France Télévisions, explique que celle-ci « se réunit tous les jours à 17 h », pour reporter au comité exécutif du groupe, présidé par Delphine Ernotte. « Le rôle de cette cellule est d’observer l’évolution de la situation et d’instruire toutes les dispositions à prendre au sein de l’entreprise… Il a été demandé aux rédacteurs en chef du week-end de travailler les mercredi et jeudi de chez eux pour préparer les journaux des vendredi soir, samedi et dimanche. Ceux du 20 h semaine ont travaillé à leur domicile le vendredi » Les différentes chaînes de France Télévisions sont aussi tenues d’avoir un plan de continuité d’activité. S’il n’y avait pas un personnel suffisant, France Télévisions peut produire différents journaux sur le même plateau.

Du côté du Figaro, l’organisation du télétravail permet au titre de continuer à produire des articles pour le web. Pour ce qui est du quotidien papier, la situation apparaît un peu plus compliquée, car certains aspects de la production peuvent être sérieusement mis en danger. D’après Anne Pican, l’éditrice, le problème se trouve sur les autres supports et formats. « Sur les enjeux de fabrication de contenus audio et vidéo, il sera compliqué de les faire sans les ingénieurs. Et du point de vue industriel, du côté de l’impression du papier, il y a un problème si le personnel de l’imprimerie est malade. » Guillaume Goubert, directeur d’un autre quotidien, La Croix, note d’autres points bloquant du côté du papier. « Nous avons envisagé toutes les possibilités de service dégradé, par exemple de réduire la pagination. Notre but est de continuer à faire un journal [au format] PDF, avec mise en page, afin que les gens puissent continuer à le lire sur tablette ou smartphone. » Dans le même temps, le journal a suspendu son offre de vidéo et de podcast à cause d’équipes réduites.

Quant aux correspondants à l’étranger de chacun des médias interrogés, ils restent dans le pays où ils travaillent.  » Quand une équipe part dans un foyer d’infection, explique Christophe Tortora, elle passe voir le service médical au préalable, pour vérifier qu’elle est apte. » Certains employés ont été mis en quarantaine, soit parce qu’ils sont allés à l’Assemblée nationale, soit parce que leur enfant revient d’une zone à risque. Des cas suspects ont été identifiés ces derniers jours et les salariés ont été pris en charge et confinés. Quant au matériel, il est désinfecté après utilisation et avant le retour dans les locaux.

Du côté de Radio France, les premières mesures ont été prises par le groupe après l’apparition des zones rouges en Italie. Si les quarantaines de certains des reporters partis dans le nord de l’Italie ont pris fin, des procédures ont été imposées pour les journalistes qui doivent se rendre dans les clusters français. Le journaliste doit passer pas l’infirmerie, on lui fournit un kit avec des gants, un masque, du gel hydroalcoolique.

Des coopérations internationales se mettent aussi en place afin de faciliter la communication d’informations entre les médias. Ainsi du côté de France Télévisions, Éric Scherer, directeur de l’innovation et des relations internationales du groupe, a créé une cellule de veille de l’UER (Union européenne de radio-télévision). « Nous avons créé, il y a plus de trois semaines, un groupe WhatsApp nous permettant de savoir ce que font l’ensemble des télévisions publiques européennes et d’échanger avec elles sur les bonnes pratiques. », explique Christophe Tortora. Le Figaro, quant à lui, fait partie du Lena (Leading European Newspaper Alliance), une alliance établie en 2015 avec sept autres journaux européens dont El Pais en Espagne, La Repubblica en Italie et Die Welt en Allemagne, avec lesquels il y a eu quelques échanges au sujet de l’épidémie. À l’heure où l’épidémie de Covid-19 due au coronavirus SARS-CoV-2 se propage dans le monde, comme pour les citoyens, le confinement, la communication, l’entraide et la prudence sont plus que jamais les clés du succès pour les médias d’information, tous soumis à la même problématique.

La méfiance envers les journalistes est toujours assez forte. Pour le site Internet Meta Media, Laure Delmoly, responsable de projets à Media Lab à France Télévisions révèle les résultats d’une étude internationale effectuée par le cabinet américain Edelman. Elle a été réalisée sur un panel de 10.000 répondants dans 10 pays (GB, Etats-Unis, Brésil, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Afrique du Sud et Corée du Sud) entre le 6 et le 10 Mars 2020. Premier résultat : seulement 43% des répondants interrogés déclarent faire confiance aux journalistes sur l’actualité du Covid-19. Ceux-ci sont donc considérés la source d’information la moins fiable sur la pandémie.

Si les médias traditionnels sont la source d’information la plus utilisée (64% des répondants), c’est la parole des experts – scientifiques et médecins – et le rôle de l’employeur qui sont préférés.

La plupart des répondants (64%) s’informent auprès des médias pour s’informer sur le Covid 19 avec des différences fortes entre les pays – variant de 73% pour le Japon à 52% pour la France. Les journalistes sont jugés comme la source d’information la moins fiable sur l’actualité du virus derrière “les pays les plus affectés » (46%) et les membres du gouvernement (48%).

Selon la moitié des répondants (45%), il est difficile de trouver de “l’information fiable” sur le virus et ses effets, alors que 85 % voudraient entendre davantage les scientifiques et moins les politiques dans les médias. Dans cette situation sanitaire, les citoyens recherchent avant tout l’information des experts : scientifiques (83%), médecins pratiquants (82%) et autorités de santé tels que le CDC (75%) et l’OMS (72%).

Enfin, 51% des répondants considèrent l’information sur le Covid-19 provenant des médias comme fiable, 58% pour l’information gouvernementale et 63% pour l’information diffusée par l’employeur.