PATRON, MONDE MEDICAL ET MEDIAS

PATRON, MONDE MEDICAL ET MEDIAS

L’image des patrons dans une émission de téléréalité, le parcours médiatique d’un docteur, le traitement du décès d’un prix Nobel de médecine dans les médias et les réseaux sociaux et les effets bénéfiques des réseaux sociaux sur l’environnement : voici les thèmes abordés dans cette revue de web de février.

Du patron au médecin

Le lancement de la nouvelle saison de l’émission de télé-réalité Patron incognito sur M6, a entrainé beaucoup de réactions des internautes sur les réseaux sociaux. Pour le site Internet de The Conversation, Carine Farias, Associate Professor in Entrepreneurship and Business Ethics, IÉSEG School of Management, explique comment la téléréalité construit une vision morale de l’entreprise. Dans chaque épisode, un patron se faisant passer pour un nouvel employé s’immerge dans son entreprise auprès de ses salariés afin d’explorer la réalité de l’organisation de la production. À la fin de l’épisode, le patron révèle son identité à ses employés et dresse un bilan de ses observations, notamment en prenant des décisions concernant leurs contrats et salaires.

Les émissions de « télé-réalité » promettent un accès direct à des échanges pris sur le vif mais des filtres et des choix éditoriaux façonnent les interactions et les scènes représentées. La télé-réalité crée donc des représentations de phénomènes sociaux, et notamment de l’organisation et du travail. Leurs discours moraux mettent en valeur une certaine éthique du travail. En gratifiant un discours moral particulier, les émissions de télé-réalité évitent les interprétations alternatives et les questionnements éthiques des interactions sociales pourtant complexes qui sont représentées.

Dans la nouvelle saison de Patron incognito, deux catégories de personnages sont élaborées : le « patron » et les « employés ». Si dans la version originale de cette émission (Undercover Boss) l’objectif affiché était de créer les conditions d’une plus grande empathie des patrons envers leurs salariés, les personnages de Patron Incognito semblent construits dans une relation d’opposition. D’un côté, le patron déguisé connaît le but réel de l’émission, et de l’autre, les employés observés par leur patron sans le savoir, sont ainsi mis en défaut.

Cette relation de dupe reprend, en outre, un thème classique de l’imaginaire collectif, celui du dominant qui se déguise en subalterne pour observer ces derniers à leur insu.  Ainsi, le « patron » et « les employés » sont dans une relation de pouvoir asymétrique qui accentue la scission entre les deux catégories socioprofessionnelles représentées et renforce une relation de subordination déjà existante.

En fin d’émission, le « patron » dévoile son identité face à ses salariés et peut prendre des décisions qui exerceront une influence sur la vie de ces derniers. Cette possibilité souligne encore la relation de subordination entre ces deux catégories de personnages. En outre, lors de cet échange final, le patron peut se révéler empathique et amical, en prenant une décision favorable aux employés. L’image du patron paternaliste et bienveillant peut alors être mise en évidence par l’émission. Cette représentation est parfois félicitée par la presse et les médias.

Un autre filtre majeur dans la construction d’un discours moral particulier passe par la prise de parole. Certains personnages-clés profitent d’un accès plus régulier et plus long à la parole, mettant en valeur leurs opinions. La parole prise face caméra permet de donner du sens à des scènes qui sont présentées à l’écran, de justifier points de vue et ressenti, dans un discours directement destiné au public. Ces personnages ayant davantage accès à la parole face caméra peuvent gérer l’interprétation de ce qui est vu.

Par ailleurs, les émissions de télé-réalité font souvent appel à la voix d’un narrateur. Celui-ci est alors omnipotent, détaché des interactions observées et donc « objectif ». Par cette position privilégiée, il guide le public dans l’interprétation des scènes avec ses commentaires.

La parole du narrateur est particulièrement importante dans la construction de représentations morales. Le narrateur impose, en effet, un sens aux interactions représentées. Sa position lui permet de terminer le débat : les éventuelles ambiguïtés et interprétations alternatives des scènes présentées disparaissent. Il construit et valorise ainsi une interprétation, souvent dotée d’une vision morale particulière.

La valorisation d’un point de vue à travers la structure narrative, le déséquilibre de la prise de parole et la narration permettent d’éviter les interprétations alternatives et les questionnements éthiques. De plus, plusieurs filtres contribuent à la construction d’un certain discours moral : le montage, le ton utilisé par le narrateur, l’angle de la caméra, les effets sonores et musicaux…

Dans la nouvelle saison de Patron incognito, le patron est à l’honneur. Sa place est centrale dans la narration de l’émission. L’épisode débute par son histoire, le téléspectateur suit son évolution physique pour ne pas être reconnu de ses employés. Le patron bénéficie donc d’un accès privilégié à la parole, et il dirige l’échange final. Les médias l’interrogent aussi a posteriori pour parler de leurs employés. L’émission forge l’image d’un patron super-héros et empathique, dont l’intervention permet à quelques employés d’avoir un meilleur contrat ou une augmentation de salaire. Les possibles dysfonctionnements organisationnels plus larges de l’entreprise ne sont pas abordés.

Enfin, les choix éditoriaux ne traitent pas les questionnements éthiques liés au fait que les employés sont trompés, sur leur lieu de travail, et par leur patron.

Le médecin est aussi une figure télévisuelle. Pour le site Internet de La Revue des Médias, Mathieu Deslandes, journaliste, analyse les interventions du médecin Gérald Kierzek. « Éditorialiste médical » du groupe TF1, le docteur Gérald Kierzek s’exprime tous les deux ou trois jours sur LCI, sur l’épidémie de Covid. Avec son discours rassurant, il récolte, sur les réseaux, les remerciements du public et les critiques de ses pairs. Ces derniers le considèrent comme « vendeur d’espoir » et « rassuriste ». Gérald Kierzek ne veut pas répondre aux « attaques », qu’il met sur le compte de « la jalousie ».

Sa première apparition à l’écran date de l’été 2003. Le week-end du 15 août, en pleine canicule, une équipe de TF1 fait alors un reportage à l’Hôtel-Dieu, sur l’île de la Cité. Le département d’ophtalmologie a été transformé en service d’hospitalisation d’urgence, et une partie du personnel « a accepté d’écourter ses vacances ». Gérald Kierzek, en fait partie.

Le 1er janvier 2004, encore un jour férié, le 19/20 de France 3 lui donne l’occasion d’une deuxième télé. Pendant quelques secondes, on  le voit prodiguer un soin à un cuisinier qui s’est brûlé la main. Lors de la troisième fois, Gérald Kierzek devient un personnage principal le dimanche 18 avril 2004. Le 20 Heures de France 2 propose alors « une page médecine » à l’occasion du congrès des anesthésistes où un portrait est consacré au médecin. L’AP-HP avait orienté Laurence Delleur, l’auteure du reportage vers lui. La journaliste témoigne : » Il était vivant, il faisait des phrases courtes, il s’exprimait clairement… C’était vraiment un bon client, Je me suis dit que ce ne serait pas son dernier sujet télé. »

Un an et demi plus tard, à l’automne 2005, Journaliste au « Magazine de la santé », Magali Einig est séduite par les talents de communicant de Gérald Kierzek. Elle filme alors le quotidien des urgences de l’Hôtel-Dieu. Elle note : « Il était très conscient de nos impératifs. Il savait parler en punchlines et reprendre les termes des questions dans ses réponses. Beaucoup de médecins ont tendance à employer des mots très compliqués pour asseoir leur sérieux. Lui savait rester simple et précis. » De plus, il se rend totalement disponible. Il évoque alors son « envie de devenir chroniqueur télé ».

Ainsi, il est repéré par ce magazine et commence à intervenir sur les plateaux. Face à Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse, Gérald Kierzek traite des dangers de l’alcool, de la peur de l’anesthésie, des effets du Taser, et livre des conseils pour prévenir les chutes — mieux vaut attendre d’être en bas d’un escalier pour rédiger un SMS, sachez-le.

A l’été 2006, une nouvelle canicule peut entraîner un manque de lits dans les hôpitaux, Véronique Lafont, journaliste de TF1 contacte alors Gérald Kierzek. « Avec lui, déclare-t-elle, je jouais la sécurité. C’était pour le 20 Heures, on était très pris par le temps, je ne pouvais pas me permettre de tomber sur un interlocuteur qui n’aurait pas su calibrer ses réponses. »

En plein montage dans le camion de diffusion garé devant l’Hôtel-Dieu, Véronique Lafont reçoit un appel de sa rédaction en chef : son sujet doit être bouclé rapidement et sera programmé à l’ouverture du journal. Harry Roselmack l’interviewe alors en duplex. Gérald Kierzek se révèle à ses yeux « vraiment très à l’aise ».

Son sens de la vulgarisation et sa disponibilité sont les principales qualités du médecin selon les professionnels des médias. Gérald Kierzek remarque : « La vulgarisation, j’ai toujours aimé ça. Au collège, je lisais Santé Magazine. J’ai beaucoup regardé “Santé à la Une”, j’ai beaucoup regardé Cymes. Je vois bien que je suis devenu une sorte d’Hubert Reeves de la médecine, mais expliquer, c’est d’abord une obligation déontologique. Je parle aux téléspectateurs comme à mes patients. »

Jeune médecin, Gérald Kierzek a ouvert un blog sur le site du Monde. Il y raconte parfois ses gardes, et rebondit sur une actualité people — des maux de tête post-partum de Tori Spelling à la sciatique de François Fillon en passant par le nodule au poumon de Juan Carlos — afin d’expliquer une notion et expliquer un message de prévention. Hyperactif et réseauteur, il s’engage dans des associations et participe à la campagne présidentielle de François Bayrou en 2007, avant d’effectuer « un post-doc » à Toronto.

À son retour du Canada, le « Magazine de la santé » fait appel à ce médecin. Puis il devient chroniqueur régulier en 2011. Tous les quinze jours, à l’antenne, il suit le texte validé par la production avant le tournage. L’équipe le juge « super sympa ».

Conscient que chaque expérience réussie devient un tremplin pour des programmes plus exposés, il répond à plusieurs demandes sur France Inter et D8. Il se met aussi en scène en blouse blanche.

Alors que la direction de l’AP-HP veut regrouper des services et déménager son siège à l’Hôtel-Dieu, Gérald Kierzek met sa notoriété naissante au service d’un combat contre ce projet. Cette prise de position a entraîné des conséquences négatives sur sa carrière hospitalo-universitaire mais elle a accéléré sa carrière médiatique. Les journalistes apprécient, en effet, les frondeurs et les martyrs. De plus, le médecin dénonce être victime d’une forme de « racisme social » car il n’est « pas issu de l’aristocratie médicale » mais de la classe moyenne stéphanoise.

Pour travailler dans les médias, il rationalise son agenda : à l’Hôtel-Dieu, il assure deux gardes par semaine, de 18 h 30 à 8 h 30. Le reste du temps, il intervient dans des émissions qui le sollicitent et reçoit des droits d’auteur pour ses chroniques régulières.  Il écrit également des bouquins « en un week-end », qui lui permettent aussi d’être invité sur les plateaux.  Il est comparé avec le grand urgentiste médiatique actuel, Patrick Pelloux. Il est considéré moins brouillon, moins incontrôlable, moins politique et plus neuf.

Sur LCI, Fabien Namias offre à Gérald Kierzek une chronique hebdomadaire dans la matinale et une émission le week-end sur la chaîne du canal 26. Puis, il devient « le médecin de TF1 » et le directeur médical de Doctissimo, le site santé du groupe. Fabien Namias exige un « médecin légitime sur le terrain. Ainsi, pendant ses gardes, Gérald Kierzek poste des vidéos « en direct des urgences » sur les réseaux sociaux.

Complotisme et environnement

En février dernier, une autre personnalité du monde médical a fait l’objet d’un traitement dans les médias et les réseaux sociaux : Luc Montagnier, virologue et prix Nobel de médecine. Sur le site Internet de France Inter, la rédaction numérique de la radio publique a décortiqué l’emballement autour de l’annonce de sa mort dans les réseaux sociaux.

L’annonce de son décès a été faite le 9 février par le site Internet de France Soir, avant d’être confirmée seulement le lendemain et diffusée dans la plupart des médias. L’Agence France Presse (AFP), référence au sein de la presse, relève dans une dépêche avoir eu « d’importantes difficultés à se faire confirmer cette information. » « La famille proche de Luc Montagnier n’a pas communiqué sur son décès auprès des principaux médias. Quant aux institutions dont il avait été membre, comme l’Institut Pasteur ou le CNRS, elles n’étaient pas en mesure de vérifier l’annonce.

Le temps pris par les médias avant de confirmer la disparition du codécouvreur du virus du sida en 1983 et la publier a été très commenté sur les réseaux sociaux, certains complotistes dénonçant le scandale. La rédaction numérique de France Inter revient sur le déroulé des faits. Dès le mercredi, en fin de matinée, France Soir annonce la nouvelle. A 11 h 42, le site France Soir, régulièrement critiqué pour ses informations proches de la sphère complotiste, publie un tweet annonçant la mort du professeur Montagnier. Il est indiqué qu’il « s’est éteint paisiblement le 8 février en présence de ses enfants ». Puis ce post est accompagné d’un article, citant comme source « le docteur Gérard Guillaume, un de ses plus fidèles collaborateurs« . Après quelques lignes de biographie, France Soir informe que Luc Montagnier, « malgré son grand âge et en dépit de toutes les critiques qu’il a subies à l’automne de sa vie« , s’est « toujours battu pour la science libre« . L’article finit par ces mots : « Nous avons eu la chance de pouvoir l’accueillir à plusieurs reprises chez France Soir, et tenons à lui rendre tous les honneurs qui lui sont dus.« 

Comme souvent lorsqu’une personnalité décède, il y aurait dû avoir un déferlement d’articles dans les minutes qui suivent le post Twitter de l’annonce de sa disparition par France Soir. En l’absence de confirmation officielle, aucune dépêche de l’AFP n’est publiée et aucun média, ne diffuse l’information.

Cela a entraîné alors des réactions de la sphère complotiste sur les réseaux sociaux. Tout au long de l’après-midi de mercredi, des dizaines de posts Twitter critiquent ainsi les médias. Les tweets et des posts sur Facebook, ont continué à déferler tout au long de la journée de jeudi. De nombreux messages ont ainsi attaqué les médias « mainstream », nommés aussi « médias de propagande » par certains internautes, accusés de cacher l’information.  Certains journalistes ont alors essayé d’expliquer pourquoi les médias n’informaient pas encore sur l’annonce de son décès.

Jeudi matin, voilà près de 24 heures que l’annonce de la mort du chercheur a été transmise et toujours aucune confirmation officielle, le professeur Didier Raoult tweete :  « Luc Montagnier est décédé. On perd un homme dont l’originalité, l’indépendance et les découvertes sur l’ARN ont permis la création du laboratoire qui a isolé et identifié le virus du SIDA. Ceci lui a valu la gloire, le prix Nobel, et l’hostilité inouïe de ses collègues. L’attention portée à ses dernières hypothèses était disproportionnée.« 

Jeudi à la mi-journée, Sud Radio rend hommage au prix Nobel de Médecine dans l’émission d’André Bercoff, qui dénonce « un silence assez troublant depuis 48h« . Le professeur Didier Raoult intervient dans l’émission ainsi que Xavier Azalbert, directeur de publication de France Soir. « Nous étions au courant depuis quelques jours qu’il était hospitalisé à Neuilly mais par respect pour le secret médical nous n’en avons pas parlé« , déclare-t-il.

Le jeudi à 16h34, le service de fact-checking « Checknews » de Libération publie à son tour un article et confirme le décès de Luc Montagnier. « Le certificat de décès a été déposé à la mairie« , annonce le journal. « Selon deux sources différentes, l’une médicale, l’autre politique, Luc Montagnier est bien décédé, mardi, à l’âge de 89 ans, à l’hôpital américain de Neuilly. » Libération s’appuie aussi sur le témoignage d’une de ses collègues : « Contactée par CheckNews, la docteure Béatrice Milbert (avec qui il avait été question qu’il organise un colloque à Genève en janvier 2021) nous a également confirmé son décès. » Puis plusieurs médias dont Le Parisien et Le Monde, ont publié l’information, citant ainsi l’article de Libération. Malgré la diffusion partout dans la presse de l’annonce de sa mort, des messages dénonçant un complot ont afflué sur Twitter.

Si les réseaux sociaux peuvent avoir des effets négatifs, ils peuvent aussi un moyen d’action pour obtenir un meilleur environnement. Dans la vidéo suivante qui a été diffusée sur YouTube, Philippe Viallon et Farhat El Khoury, chercheurs au Laboratoire interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication (LISEC) de l’Université de Strasbourg, traitent des effets bénéfiques des médias sociaux sur l’environnement.